Le 23 novembre, dans le cadre du Festival de la Communication Santé, Techtomed a organisé un atelier sur le thème « Innovation en santé numérique : remettre le patient au centre des préoccupations et de l’innovation. Comment faire de l’offre e-santé une réalité pour les patients ? »
Un atelier particulièrement centré sur les solutions digitales à destination des patients

L’offre en santé numérique peine à devenir une réalité du fait d’un décalage important entre l’innovation et la réalité des usages. La bulle des objets connectés, des applications en santé en est un bel exemple ; ces innovations restant à l’état de « gadgets » ou restreints à un usage ponctuel voire très marginal.
Pour réussir une innovation, il est nécessaire d’anticiper l’usage et la place de l’innovation dans la vie réelle de l’utilisateur, du patient ; à commencer par la confirmation du besoin. Pour toute société innovante, l’étape du design de l’innovation est critique. Il faut donc intégrer cette période de communication et interactions avec les patients en amont. C’est un gage de réussite mais aussi de confirmation du modèle commercial et d’accès au marché.
Pour débattre de cet enjeu, Techtomed a invité Anne Buisson, Directrice Adjointe de l’Association de patients AFA (Association François Aupetit) et Caroline Henry, Avocat associé chez PONS & CARRERE, et Enseignante en droit à l’Université Paris Dauphine.
Constat :
Si l’e-santé génère d’importantes attentes et connait un certain essor, il reste à bien aligner l’offre selon leurs destinataires et leur niveau d’utilisation
Pour introduire les débats, plusieurs constats ont d’abord été posés.
Pour les patients et leurs médecins, l’innovation numérique fait partie de leurs attentes pour une meilleure prise en charge de la santé :
- 2/3 des Français pensent que les outils numériques vont améliorer le parcours de soin(1)
- 69% sont favorables au dossier médical en ligne. 1 sur 2 pour la transmission en direct des données collectées via des objets connectés à des PDS(2)
- Du côté des médecins, 76% pensent que les nouvelles technologies permettent de prendre des décisions thérapeutiques plus sereines et plus éclairées et 66% de renforcer leurs connaissances et qualification. (3)
Malgré ces attentes, les applications et objets connectés déployés à ce jour sont encore loin des pratiques et usages quotidiens des patients et professionnels de santé…
- Seul 14% des médecins généralistes recommandent des applications à leurs patients(3)
- 34% des Français utilisent des applications e-santé (vs 74% en Chine ou 62% aux Etats-Unis) (4)
Un sondage Twitter diffusé en amont de cet atelier a permis de montrer la non intégration des utilisateurs finaux dans le développement des solutions e-santé : 76% des répondants estiment que les patients et utilisateurs ne sont pas suffisamment impliqués dans le processus d’innovation et 24% pas du tout.
Pourquoi cette offre peine-t-elle à devenir une large réalité ?
Cette question a permis de lancer les débats entre les intervenants et les participants à l’atelier. Plusieurs thématiques ont émergé de ces échanges.
Un ciblage non adapté des solutions e-santé
Les porteurs de solutions e-santé s’adressent aux prescripteurs dans l’espoir qu’elles soient ensuite recommandées voire prescrites aux patients. Pour Anne Buisson, il y a un décalage au niveau de la cible de ces applications : « De part mon expérience, et les applications que je connais, majoritairement réalisées par des laboratoires pharmaceutiques, il semble que la cible privilégiée soit plutôt le prescripteur. Il faudrait davantage centrée ces solutions sur le patient ».
En ne ciblant pas directement l’utilisateur final, à savoir le patient, on se retrouve avec des applications non adaptées qui contribuent à la non adoption de ces solutions.
Un problème d’usage des professionnels de santé
La plupart des applications aujourd’hui, notamment développées par l’industrie pharmaceutique, sont rejetées par les médecins et considérées comme des gadgets. Seule une minorité de solutions sont adoptées par le corps médical car elles ont une vraie utilité dans la pratique au quotidien.
La réponse à un besoin est un facteur de succès
De nombreuses solutions e-santé sont déployées sans réellement avoir étudié les besoins de l’utilisateur final, qu’il soit patient ou professionnels de santé

Pour Anne Buisson, « il serait intéressant d’imaginer de chercher les besoins à travers des études, des recherches ou alors directement avec des patients. C’est une des premières choses à faire avant de développer une solution. Cela semble évident mais ce n’est pas souvent fait ».
« Lorsque ces solutions sont bien ciblées et répondent à un besoin, on voit que les patients attendent son déploiement. On l’a vu par exemple avec Diabeo. Il faut créer une dynamique qui va impliquer une co-décision entre le patient, le prescripteur et ceux qui sont à l’origine de la solution », indique Caroline Henry.

Le problème de la pérennité des solutions digitales
Trop souvent les solutions e-santé ne sont pas conçues avec une vision à long terme. Par exemple, dans l’industrie pharmaceutique, le développement d’applications est géré comme une campagne marketing avec un objectif à court terme. Il n’y a pas de vision ni d’investissements pour faire évoluer ces solutions ou tout simplement les promouvoir auprès des patients et professionnels de santé.
« Les solutions développées par l’industrie pharmaceutique sont liées à une aire thérapeutique et à un médicament. Tant que le produit est exploité on s’investit dans l’application mais elle n’est pas pérenne. Il n’y a pas d’exploitation à long terme. » indique Anne Buisson.
L’évaluation et le tri des applications e-santé
Aujourd’hui, le patient ou le professionnel de santé se retrouve face une offre e-santé morcelée sans guide pour l’aider à identifier les applications de qualité tant d’un point de vue du contenu que de la sécurité. Il existe des initiatives privées de labellisation d’applications santé (Medappcare, DMD Santé) mais qui ne sont pas connues des professionnels de santé ni des patients, faute de reconnaissance par les autorités de santé.
« Tout ce dont on parle, les applications, les logiciels, c’est d’abord de la data, des algorithmes qui vont permettre de faire fonctionner ces solutions. Ils deviennent de plus en plus performants et le problème c’est que l’on n’a pas aujourd’hui de méthodologie précise pour vérifier la fiabilité de ces solutions » précise Caroline Henry.
La notion de transparence
La question de la transparence de ces solutions e-santé est essentielle, notamment le sujet de l’utilisation des données de santé.
Selon Caroline Henry, « développer des solutions e-santé aujourd’hui c’est collecter de la donnée, la traiter voire la partager. Les patients ont envie de savoir comment sont traitées leurs données, comment on l’analyse, de pouvoir récupérer ses données pour les partager dans un autre contexte… Cette forme de transparence là qu’on pourra faire avancer le système ».
Recommandations pour une Innovation utile et pérenne
Pour conclure cet atelier, l’équipe Techtomed, en collaboration avec Anne Buisson et Caroline Henry, a établi un certain nombre de recommandations :
- Co-construire avec les cibles : patients, professionnels de santé, etc.
- Encourager les projets pérennes
- Favoriser l’éthique / la transparence : être clair et transparent sur les intérêts et les objectifs
- Eviter les projets redondants, éviter de dupliquer les projets des concurrents
- Apporter la preuve du bénéfice pour le patient et/ou pour le professionnel de santé et/ou pour le système de santé (Qualité de vie / évaluation en vie réelle)



(1) Odoxa- Mai 2018
(2) Mazars-Opinion Way- Mars 2018
(3) Odoxa – 322 médecins français- Mars 2018
(4) Statista global consumer survey 2018